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Légendes et crédits photo:
Image d'antan
Façade de la cathédrale de Reims après les bombardements de 1914, cliché anonyme issu d'un double positif (image stéréoscopique type Verascope Richard), source Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0
Image présent
Cathédrale de Reims en 2018, photo Isabelle Loodts/Paysages en bataille
Le 19 septembre 1914 à 15 heures, un bombardement allemand provoque alors un incendie de la cathédrale de Reims. Diffusées dans la presse française et étrangère, des photographies de la cathédrale en flammes provoquent une vaste indignation. « La cathédrale de Reims n'est plus qu'une plaie », écrit le grand Reporter Albert Londres dans un article du Matin. Les Allemands ont agi «sans pouvoir invoquer même l’apparence d’une nécessité militaire, pour le seul plaisir, estime le ministre français des Affaires étrangères, Théodore Delcassé, avant d'ajouter que « le Gouvernement de la République a le devoir de dénoncer à l’indignation universelle cet acte révoltant de vandalisme qui, en livrant aux flammes un sanctuaire de notre histoire, dérobe à l’humanité une parcelle incomparable de son patrimoine artistique». Hommes politiques de gauche comme de droite, athées comme prélats, tout le monde semble s'accorder en France sur le sacrilège que représente cette atteinte à ce chef d'oeuvre de l'art gothique, lieu du sacre des Rois de France. Même Anatole France, dreyfusard et anticlérical, fustige dans les colonnes de La Guerre sociale «Les barbares (qui) ont incendié, en invoquant le dieu des chrétiens, un des plus magnifiques monuments de la chrétienté. » Même Marcel Proust s'émeut dans un des « Lettres à sa voisine » rédigée quelques mois plus tard, à Noël 1914, de « ce crime froidement conçu » Les commissions d'enquête envoyées par la suite sur place ont pu démontrer que les premières descriptions des dégâts avaient été exagérées. Le bombardement et l'incendie de la cathédrale de Reims ont été récupérées par la propagande qui vise d'une part à inciter les Français à transcender les divergences d'opinions qui les opposent encore vivement, au début de la guerre depuis la séparation des Eglise et de l'Etat en 1905, et d'autre part, à sensibiliser les opinions publiques internationales, pour les mobiliser dans une guerre qui n'est alors pas encore vraiment mondiale. Bien entendu, la propagande allemande elle-même n'est pas en reste. À propos de Reims, le gouvernement du Reich se contente de minimiser les dégâts : «les tours et l’extérieur de la cathédrale sont indemnes. » Aujourd'hui, plus encore que la cathédrale, c'est "l'ange au sourire" qui se trouve à gauche du portail nord de la façade de l'édifice qui est devenu le symbole de sa résilience, et plus largement celui de la ville. L'ange Saint Nicaise, sculpté aux alentours de l'an 1240 par l'atelier rémois, n'a pourtant pendant presque 7 siècles pas connu plus de de gloire que les 2 302 autres figures sculptées qui ornent les façades de l’édifice gothique. Mais lors de l'incendie de 1914, il fut décapité par la chute d'une poutre, et les débris de sa tête, éclatée au sol furent ramassés par l'abbé Thinot, et remisés dans les réserves de la cathédrale jusqu'à ce qu' en novembre 1915,  l'architecte Max Sainsaulieu le redécouvre. On commença alors à lui accorder de l'attention, puis à construire son mythe. Sa tête fut restaurée en 1922, et il retrouva sa place dans l'embrasure du portail en 1926, sans que cela ne constitue un réel événement... Son sourire est devenu l’emblème identitaire et touristique de la ville par les efforts d'Henri Abelé, patron d'une maison de champagne, qui fut le majeur mécène de la réhabilitation de la cathédrale, et de son ange. La propagande ne s'arrête pas avec la guerre. Elle a été aussi utilisée, une fois la paix revenue, pour attirer les visiteurs dans les anciens territoires dévastés, et générer ainsi une activité économique bien utile à la reconstruction. Le sourire mystérieux de l'ange montre à quel point la mémoire collective peut fluctuer au gré des services à la société pour laquelle on l'exploite. Lorsque de Gaulle et Adenauer ont scellé à Reims la réconciliation franco-allemande le 8 juillet 1962, le discours de Mgr Marty souligna que la cathédrale les accueillait « avec le sourire de son Ange ».