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Légendes et crédits photo:
Image d'antan
Vue sur la Woëvre depuis la tranchée du belvédère, à l'est du point X des Eparges, 1915, Collection privée de Jean Jacques de BUTLER
Image présent
Vue sur la Woëvre depuis le point X des Eparges, été 2015, photo Isabelle Loodts/Paysages en bataille
La crête des Éparges fait partie d'une série de crêtes ou buttes témoins échelonnées du nord au sud, à l'est des Hauts-de-Meuse, au Sud-est de Verdun. Cette position était stratégique par la vue exceptionnelle qu'elle offrait tant sur la plaine de la Woëvre que sur les pentes de Côtes de Meuse. Dans le cadre du plan d'attaque français, chaque point caractéristique de cette crête en forme de corne fut baptisé: corne Ouest = point A, piton = point C, Corne Est = point X. Cette photo fut prise à l'été 1915 depuis la tranchée dite du belvédère, à l'Est du point X. Ce point X était un des observatoires les plus avancés dans la plaine de la Woëvre. La crête des Éparges fut tenue par les Allemands jusqu'en septembre 1918 malgré les incessantes tentatives des Français de la prendre. Dès le 21 septembre 1914, les Allemands y avaient développé une forte organisation de blockhaus et de réseaux de tranchées. La tâche de reconquête de cette position, fixée au 17 février 1915, fut confiée à la 12e division d'infanterie du 106ème RI, unité dans laquelle servait l'écrivain Maurice Genevoix. Engagé aux Éparges de février à avril 1915, c'est au cours de ces combats qu'il sera grièvement blessé, le 24 avril 1915. Le 22 mars, l'écrivain-combattant tenait cette réflexion dans une lettre à sa famille: « […] Deuxième journée ici, après dix jours de première ligne dont trois de combat. Les pertes n’approchent pas celle du dernier mois. Et pourtant … Je devrais me taire, refouler ça au fond de moi ; je ne peux pas : ça monte…Il va bien falloir que ça crève. J’ai vu trop de choses dégoûtantes pour être dupe encore des mots. Pourquoi nous battons-nous, maintenant, et de cette façon ? Pour défendre quoi ? Gagner quoi ? Ces gens-là se leurrent volontairement, j’en suis sûr ! Il ne peut pas en être autrement. Des milliers de morts pour ce lambeau de colline dont le sommet nous échappe toujours ! L’affaire de Noël, en cent fois plus coûteux : charretée par charretée, mais beaucoup de charretées à la file J’aurais tant, tant à vous dire ! Mais je ne peux pas : c’est trop tumultueux, trop loin de vous, si loin que vous ne pourriez pas comprendre… Ce n’était pas la peine ; J’aurais mieux fait, réellement, de me taire. Tuer des Allemands ? Les user ? On ne peut tuer ainsi des hommes qu’en en faisant tuer d’autres, autant d’autres ou davantage. Alors ?... Déloger les Allemands d’une crête stratégique importante ? D’un bastion avancé sur la Woëvre ? Mais les Hures, qu’est-ce qu’elles sont ? Et le Montgirmont ? Derrière la colline des Éparges, la montagne de Combres se dressera fac à nous. Et derrière Combres, d’autres collines…Dix mille morts par colline, est-ce cela que l’on veut ? Alors ? Le pire, le terrible, c’est la clairvoyance des hommes. Lente à s’éveiller mais qui s’éveille…Est-ce qu’on s’aperçoit qu’elle s’éveille ? » Ce témoignage fait partie des textes qui composent  "Ceux de 14", recueil de récits de guerre de Maurice Genevoix, rassemblés sous ce même titre en 1949, après un découpage et quelques modifications et ajouts au texte original de ses cinq récits d'origine, censurés en partie lors des premières éditions car jugés trop réalistes sur la violence des combats. Un autre grand écrivain laissa un témoignage aussi saisissant de la violence des combats des Éparges: Ernst Jünger, qui se trouvait près de la Tranchée de Calonne au milieu des combats d'artillerie, reçut sa première blessure de guerre le 24 avril 1915, lui aussi. "La bataille des Éparges fut mon baptême du feu", écrivit-il dans "Orages d'acier". "Il était tout autre que je ne l'avais imaginé. J'avais pris part à une grande opération guerrière sans voir un seul de mes adversaires (...) Le crépuscule tombait quand nous reçûmes l'ordre de reprendre notre avance. Notre itinéraire nous mena, par d'épais fourrés fouettés de balles, jusqu'à un boyau interminable que les Français en fuite avaient parsemé de paquetages. Près du village des Éparges, sans avoir de troupes devant nous, nous dûmes tailler une position dans la roche dure. Je finis par tomber dans un buisson pour m'y endormir. Parfois, je voyais encore, du fond de mon demi-sommeil, les obus tracer leurs arcs au-dessus de moi, leurs fusées crachant des étincelles. (...) Dans les heures du matin, le soleil perça le brouillard et nous pénétra d'une tiédeur bienfaisante. Quand j'eus un peu dormi dans le fond du boyau, la curiosité me poussa à inspecter la tranchée déserte conquise la veille. Le sol en était couvert de monceaux de ravitaillement, de munitions, de pièces d'équipement, d'armes, de lettres et de journaux. Les abris avaient l'air d'une friperie après un pillage. Dans ce désordre gisaient les corps des braves défenseurs, dont les fusils étaient encore appuyés aux créneaux. D'une charpente aplatie par les obus, un tronc sortait, coincé entre les poutres. La tête et le cou étaient arrachés, des cartilages blancs luisaient dans la chair d'un noir rougeâtre. J'avais du mal à comprendre. Un tout jeune garçon était couché auprès, sur le dos, les yeux vitreux et les poings raidis dans l'attitude de la visée. Étrange sentiment que de regarder de tels yeux morts, interrogateurs; c'est un frisson dont je ne me suis jamais complètement débarrassé, de toute cette guerre." La guerre des mines fit rage aux Éparges à partir de la mi-avril 1915, lorsque le général Herr ordonna de déloger les Allemands du point X par des charges explosives souterraines. Elle se prolongea jusqu'en septembre 1917, chacun des deux camps prenant successivement mais provisoirement l'ascendant sur l'autre. Sur une longueur de seulement 800 mètres, ces explosions ont creusé de spectaculaires cratères dont 18 sont toujours visibles. Les Français ont perdu ici 50 000 hommes dont 10 000 tués ou disparus ; les pertes allemandes ont été comparables. Le monument dressé à la mémoire des soldats disparus au cours de ces combats fut sculpté par Louise-Mina Fischer (comtesse de Cugnac), en l'honneur de son fiancé, tombé ici en 1915.